«'The Concord of this discord': la fausse relation dans
Le Songe d'une nuit d'été»


MND

 

Discords mingled with concords not only are tolerable but make the discant more pleasing if they be well taken;  more over there is no coming to a close, specially with a cadence, without a discord, and that most commonly a seventh bound in with a sixth when your plainsong descendeth.
Thomas Morley, A Plain and Easy Introduction To Practical Music, 145 .(1)

 

     Utiliser le langage musical pour parler des pièces de Shakespeare peut paraître curieux en des temps où la culture musicale est reléguée au second plan. Pourtant, l'étude de pièces comme Le Songe d'une nuit d'été ou Roméo et Juliette et bien d'autres, nous montre que Shakespeare connaissait très bien le vocabulaire musical technique, et qu'il s'attendait à ce que son auditoire le comprenne. En effet, les différentes références musicales apparaissent dans des contextes très variés, depuis les commentaires sur l'harmonie et la discorde d'Hippolyta et Theseus (MND), aux jeux de mots salaces de Mercutio (R&J). La musique incidentale, vocale ou/et instrumentale, se détache plus particulièrement des textes, et Le Songe, avec ses chansons, danses et séquences musicales, parcourt toute la gamme des possibilités spectaculaires. Mais nous nous attendons également à trouver des références à l'harmonie universelle et, par le jeu analogique des correspondances, nous ne sommes pas surpris de rencontrer des métaphores utilisant le vocabulaire de la musique.
     Il me semble, cependant, que l'analogie va beaucoup plus loin, et que la musique se place aussi au cœur de la structure de la pièce : sa structure narrative, mais aussi sa structure phonique (2).Je voudrais explorer ici la façon dont une technique de composition musicale affecte la structure de la pièce et les relations entre ses divers éléments. Cette technique, que l'on appelle "fausse relation" (false relation ou cross relation), s'apparente au thème de la Concordia discors, très développé dans la pièce, ainsi qu'au procédé rhétorique souvent relevé par la critique : l'oxymore. C'est d'ailleurs par l'oxymore que s'exprime le thème de l'harmonie dans la discorde, "the concord of this discord" (V, i, 109), "musical confusion" (IV, i, 109), "gallant chiding" (IV, i, 114), "so musical a discord" (IV, i, 117), "sweet thunder" (IV, i, 117), "a cry more tuneable" (IV, i, 123).  La concentration de ces oxymores dans l'acte IV, avec la métaphore de la meute, est significative. Nous sommes, en effet, dans un temps suspendu, un entre-deux, comme on  trouve en musique ces cadences interrompues ou suspendues, où les notes discordantes conduisent, par leur résolution, à l'accord final. Nous assistons, en effet, à partir de l'acte IV, à une succession d'accords, dans tous les sens du terme, et à leur résolution, interne à chaque groupe, avant d'arriver au grand accord final.

*

Le New Grove Dictionary of Music and Musiciansdonne la définition suivante de false relation :

A chromatic contradiction between two notes sounded together ... or in different parts of adjacent chords ... For music before 1600 the term is normally also applied to the occurrence of a tritone between two notes in adjacent chords ... on the grounds that such a progression contradicts the rule of mi contra fa (see Musica ficta) observed in the late Middle Ages and the Renaissance (3).
Pour ne pas entrer dans les problèmes très complexes de la musica ficta, nous nous contenterons d'observer les fausses relations traditionnelles du premier et du deuxième types.
     Nous commencerons par le plan le plus général et, pourrait-on dire, idéal, pour ensuite entrer dans les détails. Si l'on accepte le discours de Theseus au tout début de la pièce, avant l'interruption d'Egeus, nous pouvons établir un schéma d'ensemble de fausses relations, à partir des trois couples dont le destin est de constituer l'harmonie finale. Nous aurions alors 3 voix doublées à l'octave . L'harmonie du premier accord est, bien entendu, celle qui est désirée, non pas celle qui existe de fait ; c'est celle que l'on annonce, celle vers laquelle tout doit tendre. C'est un accord qui se voudrait parfait, donné, d'entrée de jeu, lancé presque comme un défi :
 
 Theseus :
    But I will wed thee in another key -
    With pomp, with triumph, and with revelling.
                                                                            (I, i, 18-19)
Nous sommes ici dans la projection comique de l'accord parfait final. Nous le représentons donc comme l'accord parfait, les notes des hommes et des femmes se répondant à l'octave (Exemple 1). Mais cet accord à peine conçu, la voix d'Egeus vient nous révéler les discordes et les fausses relations qui le sous-tendent. En effet, son discours fait apparaître deux dissonances, dont l'une se rapporte à Theseus (l'inconstance de Demetrius), et l'autre à Hippolyta (l'insoumission de Hermia). Au cours des péripéties, les voix des amants entrent dans toutes les formes de la fausse relation, en particulier par rapport aux notes stables d'Hippolyta et de Theseus qui forment le cadre nécessaire de la comédie : le mariage est annoncé et il aura lieu :
Theseus:
  Take time to pause, and by the next new moon -
  The sealing day betwixt my love and me
  For everlasting bond of fellowship -
  Upon that day either prepare to die
  For disobedience to your father's will,
  Or else to wed Demetrius, as he would,
  Or on Diana's altar to protest.
  For aye austerity and single life.                       (I, i, 83-90)


Les fausses relations s'établissent entre les voix, d'un accord à l'autre et dans le même accord, ceci de façon croissante, puis décroissante (1+1 - 2+2 - 1+1). Les voix altérées sont celles de Demetrius et de Lysander, les voix féminines restant constantes - ce qui permet aux fausses relations de s'installer.
 L'accord de départ est bien situé dans le registre du désir. Présenté comme accompli, il attend cependant son accomplissement. Les termes faisant référence au désir, à l'attente, au temps suspendu, constituent le texte même des dix-neuf premiers vers. La situation initiale est, en fait, la résolution d'une cadence par laquelle les notes dissonantes de l'inconstance et de l'insoumission auraient dû basculer dans l'harmonie. Mais, par un jeu de déplacements de ces notes dissonantes sur d'autres voix de cette partition polyphonique, les fausses relations se développent et retardent la résolution finale. Ainsi, l'accord parfait fait référence à la foi donnée par Demetrius à Helena, et son parjure est un écho de l'inconstance légendaire de Theseus:
 

 Lysander:
  Demetrius - I'll avouch it to his head -
  Made love to Nedar's daughter, Helena,
  And won her soul, and she, sweet lady, dotes,
  Devoutly dotes, dotes in idolatry,
  Upon this spotted and inconstant man.
                                                                        (I, i , 106-110)


On comprend mieux l'embarras de Theseus qui avoue, mais se garde bien de condamner, et s'empresse d'oublier une seconde fois:
 

 Theseus:
   I must confessa that I have heard so much,
  And with Demetrius thought to have spoke thereof;
  But, being over-full of self affairs,
  My mind did lose it.
                                                                        (I, i, 111-114)
En effet, la "note" Demetrius qui a perdu son goût "naturel" ("natural taste" - natural = bécarre), se trouve altérée et entre en fausse relation avec les autres notes des amants. Par "accident" (accidental = altération accidentelle, qui ne fait pas partie des altérations du mode ou de la gamme), Lysandre, lui aussi entre en fausse relation, dans un accord où seules les femmes restent stables et conformes au mode d'origine. La résolution de ces fausses relations passe par l'intervention du "compositeur"- Oberon, qui rend à Demetrius son "goût naturel", et supprime l'altération accidentelle de Lysandre par l'antidote :
 
 Demetrius:
  And all the faith, the virtue of my heart,
  The object and the pleasure of mine eye
  Is only Helena. To her, my lord,
  Was I betrothed ere I see Hermia.
  But like in sickness did I loathe this food;
  But, as in health come to my natural taste,
  Now do i wish it, love it, long for it,
  And will for evermore be true to it.
                                                                        (IV, i, 168-175)
La métaphore médicale reprend la métaphore musicale : "sickness" = inflection, "health" = natural .
Ce même accord parfait fait aussi référence à la soumission de l'amazone, et la rébellion de Hermia puis l'opposition de Titania fonctionnent comme des déplacements de l'insoumission passée de Hippolyta.

     La voix d'Egeus résonne comme une note discordante, seulement parce que l'accord est instable, face à un Theseus légèrement trop haut et à une Hippolyta légèrement trop basse, Egeus réitère la note fondamentale de la Loi dans le système patriarcal qui régit les relations sociales (4):
 

 Egeus:
  I beg the ancient privilege of Athens:
  As she is mine, I may dispose of her -
  Which shall be either to this gentleman
  Or to her death, according to our law
  Immediately provided in that case.
                                                                        (I, i, 41-45)

 Egeus:
  Enough, enough, my lord, you have enough.
  I beg the law, the law upon his head.
  They would have stol'n away, they would Demetrius,
  Thereby to have defeated you and me
  You of your wife, and me of my consent,
  Of my consent that she should be your wife.
                                                                        (IV, i, 153-155)
 

En faisant claquer la note fondamentale de la loi, Egeus fait ressortir toutes les instabilités, et instaure les fausses relations. Déplacement et fausse relation sont donc étroitement liés, et la même note passe, altérée, de mode en mode : du mode princier (Theseus et Hippolyta), au mode amoureux (les amants), puis au mode féerique (Oberon et Titania). Dans une superbe symétrie, nous voyons l'accord princier se dégrader par l'effet du désaccord amoureux, puis féerique, pour être restauré, d'abord à travers le mode féerique, puis à travers le mode amoureux. La déconstruction de l'accord s'opère par une suite de fausses relations, et sa reconstruction passe par un réajustement selon la symétrie:

            Princier - Amoureux  - Féerique / Féerique - Amoureux - Princier

Si l'on considère Hermia/Helena et Titania comme des avatars de Hippolyta, et Demetrius/Lysander et Oberon, comme des avatars de Theseus, il paraît alors évident que leurs discordes qui s'expriment par les fausses relations nous font d'autant mieux entendre la justesse de ton atteinte par Theseus et Hippolyta. Si ces derniers représentent une note instable au départ, celle-ci se stabilise en note naturelle (natural = bécarre, non-altérée) pour l'harmonie finale. L'acceptation de la constance, d'une part, et de la soumission, d'autre part, constitue une des bonnes règles de l'harmonie. Si la voix d'Egeus est réduite brutalement au silence, ce n'est pas seulement parce qu'elle est devenue superflue, c'est aussi en fonction de la notion d'ajustement, nécessaire en musique, mais aussi dans les relations sociales. En effet, jusqu'à l'invention du tempérament égal, la justesse d'intonation était le résultat d'un compromis
 

Singers can hardly be expected to have maintained the distinction between pure and impure triads; if they could manage a fairly pure triad at one place in the music, they would most likely be unwilling to produce on purpose a distinctly impure one somewhere else. However, the notion that a chain of ‘perfect’ concords (5ths, 4ths) yields ‘imperfect’ ones (3rds, 6ths) which are so euphonious that they serve as stable sonorities in the harmony (...) is a hallmark of temperament (5).


The Concise Oxford Dictionary of Music définit ainsi le mean-tone généralement utilisé :
 

Before the adoption of equal temperament a system frequently employed was that of Mean-tone Temperament, which left certain keys quite tolerable others less so, and some so intolerable that they could not be used  (6).
La définition de 'temperament' dans le même dictionnaire me semble tout à fait correspondre à ce qui se passe au moment où Theseus fait taire Egeus :
 
Temperament is adjustment in tuning whereby (...) such pairs of notes as B sharp and C, or C sharp and D flat are combined instead of being treated as individuals, a compromise being effected which leaves neither note of the pair accurate but both sufficently near accuracy for the ear tolerantly to accept them (7).


A force de réitérer la note "juste" dans un environnement où, de toute façon elle n'est pas acceptable, puisque "naturellement", la gamme engendre une quinte fausse, la voix d'Egeus doit être réajustée.

*

 La fausse relation nous est signalée dès le départ grâce à une rhétorique qui s'appuie sur la résolution d'une situation qui frise l'oxymore:
 

 Theseus:
  Hippolyta, I wooed thee with my sword,
  And won thy love doing thee injuries.
  But I will wed thee in another key -
  With pomp, with triumph , and with revelling.
                                                                            (I, i, 16-19)


Si "wooed" est en dissonance avec "sword", en revanche "wed" est en consonance avec "wooed", et la substitution de "sword" par "key" explique une métaphore ("sword" = métaphore de l'organe sexuel masculin), par une autre : "key", dans sa référence musicale, un autre mode, pourtant aussi la "clef" qui ouvre la porte virginale, donc ce même organe sexuel masculin. Le sang sous-entendu dans "injuries", le sang de l'amazone guerrière, se transforme lorsque le second sens de "sword" apparaît sous l'effet de la métaphore musicale, et la fausse relation "wooed"/"sword", devient alors consonance : "wooed"/"wed"/"key".
 Cette fausse relation, mentionnée par Theseus, trouve des échos bémolisés dans les autres groupes, par la récurrence du terme "injury" : Oberon / Titania et les jeunes amoureux :
 

 Oberon:
  Well, go thy way. Thou shalt not from this grove
  Till I torment thee for this injury -
                                                                            (II, i, 146-147)

 Helena:
  If you were civil, and knew courtesy,
  You would not do me thus much injury.
                                                                            (III, ii, 147-148)

 Helena:
  Injurious Hermia, most ungrateful maid,
  Have you conspired, have you with these contrived
  To bait me with this foul derision?
                                                                           (III, ii, 195-197)
  Though I alone do feel the injury.
                                                                            (III, ii, 219)

le terme "injury" trouve aussi son équivalent dans "harm", qui rappelle la fausse relation première et la promesse d'une résolution pacifique :
 
 Bottom:
  Write me a prologue, and let the prologue seem to say
   we will do no harm with our swords...
                                                                             (III, i, 15-17)
Ou encore :
 
 Lysander:
    What, should I hurt her, strike her, kill her dead?
    Although I hate her, I'll not harm her so.

                                                                               (III, ii, 269-270)


"Injury", harm", dans ce contexte, représentent la note altérée (inflected) qui vient détruire la consonance en établissant une fausse relation. Ainsi Oberon met sa menace à l'œuvre en infligeant à Titania une altération qui fausse l'accord parfait que le trio Oberon / Changeling / Titania est supposé former. La rébellion de Titania qui veut garder le Changeling pour elle seule, exclut de l'accord la voix masculine. En effet, les rapports ambigus qu'elle entretenait avec la mère du Changeling nous incite à voir en elle un substitut à la fois de la mère et du père:

 
 Titania:
    Set your heart at rest.
    The fairyland buys not the child of me.
    His mother was a vot'ress of my order,
    And in the spicèd Indian air by night
    Full often hath she gossiped by my side,
    And sat with me on Neptune's yellow sands,
    Marking th' embarkèd traders on the flood,
    When we have laughed to see the sails conceive
    And grow big-bellied with the wanton wind,
    Which she with pretty and with swimming gait
    Following, her womb then rich with my young squire,
    Would imitate, and sail upon the land
    To fetch me trifles, and return again
    As from a voyage, rich with merchandise.
                                                                            (II, i 121-134)
La même note (Changeling) va changer de nom (Bottom) et subir l'altération nécessaire à la fausse relation. Celle-ci s'exprime à la fois de façon visuelle et auditive. En effet, c'est parce qu'elle entend la voix de Bottom que Titania s'éveille et pose son regard sur lui. Entre la berceuse des fées pour endormir Titania et l'aubade de Bottom, il y a le sommeil et l'altération des sens. Ce n'est pas seulement que la chanson rustique de Bottom (III, i, 118-126) contraste avec l'harmonie des fées, mais le texte lui-même rend compte de la fausse relation, que ce soit par les référence musicales ("his note so true", "plainsong", "whose note full many a man doth mark") ou par ses connotations sexuelles ("The ousel cock so black of hue", "the plainsong cuckoo"). Non seulement l'aubade prend la place de la berceuse, mais elle apporte avec elle ce dont la berceuse était sensée protéger Titania. Lorsque celle-ci entend la voix de l'ange, alors que nous voyons la bête, nous reconnaissons là l'effet exact de la fausse relation musicale:
 
 Titania:
      What angel wakes me from my bed ?
                                                                        (III, i, 122)
En passant dans les mains d'Oberon, le Changeling retrouve sa note naturelle. Quant à Bottom, le texte indique bien la suspension souvent observée dans les cas de fausses relations, pour un temps, les deux notes (naturelle et altérée) résonnent simultanément : alors même que Titania a rendu le Changeling et que le charme est rompu, elle peut observer cette fausse relation :
 
 Titania:
    How came these things to pass ?
    O, how mine eyes do loathe his visage now!
                                                                            (IV, i, 77-78)


Il paraît alors tout naturel que la musique de la réconciliation se fasse entendre :
 

 Oberon:
      Titania, music call, and strike more dead
      Than common sleep of all these five the sense.
 Titania:
      Music, ho - music such as charmeth sleep
                                                                                (IV, i, 80-82)


L'étude précise de toute cette scène 1 de l'acte IV montre comment le premier accord de la cadence finale se constitue. Non seulement la musique et la danse, mais la prosodie, par les variations de rythmes et de rimes, contribuent à la reconstruction progressive de l'harmonie. La scène qui suit, par son jeu sur la discorde et l'harmonie des voix de la meute, constitue le deuxième accord de la cadence. Si la dissonance persiste, comme les nombreux oxymores sur les termes de musique, l'indiquent, il s'agit là d'une dissonance désirée, calculée même. Le réveil des amants et de Bottom rétablit certaines des notes naturelles de l'accord qui verra par la suite tous les groupes réunis sur le même plateau, mais chacun tenant sa place. Mais pour autant, les fausses relations tiennent toujours le haut du pavé et culminent dans la fausse relation simultanée que l'on peut entendre lors de la pièce dans la pièce.

*

 La pièce dans la pièce, hormis les références possibles à Roméo et Juliette, nous invite à réévaluer l'aventure des amants contrariés. "the course of true love never did run smooth", s'écrie Lysander (I, i, 134). "True", ici suggère "true note" et la justesse de ton (le terme "true" apparaît 31 fois dans la pièce), dans la mesure où il déclenche un duo d'amour. Mais il signale aussi la fausse relation au sein des voix de ce duo. En effet, les deux voix suivent des chemins différents, opposés même, l'une montante vers la confusion (Lysander: "so quick bright things come to confusion", 149)), l'autre descendante jusqu'à l'enfer (Hermia: O hell! - to choose love by another's eyes") et qui, de fait, aboutissent à des conclusions contraires. Dans la pièce dans la pièce, il s'agit plus de contretemps que de fausse relation entre les amants, et c'est la pièce de Pyramus and Thisbe tout entière, telle qu'elle est représentée, qui fonctionne comme une fausse relation simultanée. Theseus remarque l'inadéquation de certains des spectacles proposés. Parlant de l'un d'eux il dit:
 

 Theseus:
      That is some satire, keen and critical,
      Not sorting with a nuptial ceremony.
                                                                            (IV, i, 54-55)


On peut, de la même façon, douter de l'adéquation d'une tragédie aux fêtes nuptiales. Il est vrai qu'ici encore l'oxymore est de règle qui nous promet la toute dernière des fausses relations :
 

 [Lysander] (reads)
      'A tedious brief scene of young Pyramus
      And his love Thisbe: very tragical mirth'.
 Theseus:
      'Merry' and 'tragical'? 'Tedious' and 'brief'? -
      That is, hot ice and wondrous strange black snow.
                                                                                (V, i, 56-59)


Par son prologue et son mode de présentation, par ses acteurs qui n'en sont pas vraiment, mais qui en sont quand même, la pièce dans la pièce se trouve en fausse relation par rapport à l'ensemble de la pièce. Comment, en effet, faire entrer une vraie tragédie dans une vraie comédie, si ce n'est en altérant la note naturelle de la tragédie, en la bémolisant pour qu'elle entre en fausse relation avec elle, et que la dissonance soit alors rendue, non seulement supportable, mais désirable dans l'attente imminente de l'accord parfait:

Titania:
  First rehearse your song by rote,
  To each word a warbling note.
  Hand in hand with fairy grace
  Will we sing and bless this place.
                                                                        (V, i, 388-391)


On retiendra ici le sens de "rote" = "with precision" (OED) (8), l'adéquation des mots aux notes, chaque voix marchant, en somme, la main dans la main pour former la carole rituelle qui manquait à l'harmonie naturelle, comme Titania, elle-même l'avait signalé :

Titania:
      No night is now with hymn or carol blessed.
                                                                        (II, i, 102)


*

 Il nous reste, peut-être encore à nuancer cet accord parfait final. Bien sûr, si les voix féminines se taisent dans la dernière scène, c'est parce qu'elle sont à l'unisson des voix masculines. Hippolyta tente encore de faire entendre la sienne, mais elle est sans cesse ramenée à la consonance et l'impatience manifestée au départ par Theseus au sujet de la lune s'est, à présent, déplacée sur elle :

Hippolyta:
      I am aweary of this moon. Would he would change.
                                                                                            (V, i, 246)
Mais, pour une partition à voix mixtes, les voix hautes font défaut, et l'ambitus vocal incomplet dénote un certain déséquilibre. La partition des fées, en revanche, présente tous les aspects de la consonance. Dans la pure tradition des fées qui se penchent sur les berceaux des nouveaux nés, elles tentent, par leurs incantations d'éloigner les dangers et imperfections à venir. Mais ces mêmes incantations montrent bien que rien n'est gagné d'avance et que tout n'est qu'un éternel recommencement. Jusqu'au bout, Robin nous signale les altérations susceptibles de créer la discorde toujours possible : celle-là même qui, de par l'inadéquation du spectacle, pourrait entraîner des fausses notes en forme de sifflets :
Robin:
  If you pardon, we will mend.
  And as I am an honest puck,
  If we have unearnèd luck
  Now to scape the serpent's tongue,
  We will make amends ere long...
                                                    (V, i, 421-425)


En dernier ressort, il appartient aux spectateurs de corriger les éventuels écarts et de restaurer les bonnes relations :
 

 Robin:
    Give me your hands, if we be friends,
    And Robin shall restore amends.
                                                        (V, i, 427-428)
Francis Guinle
Université Lumière-Lyon2

Notes :
Toutes les références sont à l'édition d'Oxford, World's Classics, ed. Peter Holland, Oxford University Press, 1994.

  (1) Morley, Thomas. A Plain And Easy Introduction To Practical Music (1597).
            Ed. R. Alec Harman. London: J.M. Dent & Sons (1952), 1966.
  (2)Voir Francis Guinle, «Ordre et désordres», in Trames, Actes des journées Shakespeare-Webster
            (9-10-11 décembre 1988), Limoges, 1989.
    François Laroque, «'I see a voice': Les voix du Songe : de la synesthésie au mystère», Colloque de
            Rouen, 22-23 novembre 2002 (à paraître).

  (3) George Dyson: 'False Relation', The New Grove Dictionary of Music and Musicians ed. (London:
            Macmillan), 1986.

  (4) Si, dans la pièce, Egeus est le père de Hermia, souvenons-nous que dans la mythologie Égée est le père
        de Thésée. Sa mort prématurée est causée par l'insouciance de Thésée qui, toujours plus préoccupé de
        lui-même et de sa victoire sur le Minotaure, oubliera la promesse faite à son père de hisser une voile
        blanche s'il est en vie. Voyant le bateau arborant une voile noire, Égée se jette dans la mer (qui porte à
        présent son nom).
  (5) Mark Lindley: 'Temperaments', The New Grove Dictionary of Music and Musicians ed. (London:
        Macmillan), 1986.
  (6) Percy A. Scholes, 'Temperament', The Concise Oxford Dictionary of Music, 2nd ed. by John Owen
        Ward (London: Oxford University Press, 1964), 1975, p. 569.
  (7) Idem, p. 568-569.
  (8)Notons également que "rote" est une forme de "crwth", instrument à corde gallois, de la famille du violon.

Exemple 1
Fausses relations  
 

Bibliographie

Dictionnaires:
The New Grove dictionary of Music and Musicians, ed. S. Sadie and J. Tyrrell. London: Macmillan,
        1986 (2001).
The Concise Oxford Dictionary of Music. Percy A. Scholes. 2nd edition,  ed. John Owen Ward. London:
        Oxford University Press, (1964) 1975.

Ouvrages:
Morley, Thomas. A Plain And Easy Introduction To Practical Music (1597).
        Ed. R. Alec Harman. London: J.M. Dent & Sons (1952), 1966.
Reese, Gustave, Music In The Renaissance. London: J.M. Dent & Sons, 1954.

Article:
Guinle, Francis. «Ordre et désordres», in Trames, Actes des journées Shakespeare-Webster (9-10-11
        décembre 1988), Limoges, 1989.
Laroque, François. «'I see a voice': Les voix du Songe : de la synesthésie au mystère», Colloque de Rouen,
        22-23 novembre 2002 (à paraître).
 

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